Au chevet des États disloqués du monde arabe, les thérapeutes de l’ONU se succèdent, impuissants jusqu’ici à réduire les fractures des révolutions syrienne, yéménite et libyenne. Au pays de feu Kadhafi, cinq envoyés spéciaux du secrétaire général ont prêché dans le désert depuis la nomination, dans la foulée des événements de février 2011, du Jordanien Abdelilah al-Khatib. La voix du Libanais Ghassan Salamé saura-t-elle enseigner la réconciliation ? Le 30 juin, cet universitaire francophone, diplomate international et ancien ministre à Beyrouth, succédera à l’Allemand Martin Kobler.
Sur le terrain miné de la guerre de Libye, où le maréchal de l’Est, Khalifa Haftar, s’oppose aux milices ralliées à Fayez el-Sarraj, le Premier ministre appuyé par la communauté internationale, Kobler était parti d’un bon pied, avec la signature des accords de réconciliation de Skhirat, au Maroc, en décembre 2015. Mais à peine l’encre avait-elle séché que les armes redonnaient de la voix. Salamé se trouve aujourd’hui face à deux embûches : être utilisé par un Sarraj qui a perdu son crédit à Tripoli et risquer de se heurter à l’intransigeance de l’ambitieux Haftar, comme son prédécesseur.
Spécialiste de la résolution des crises
Seules de fortes pressions de ses parrains émirati et égyptien ont amené le maréchal à concéder une rencontre avec Kobler le 13 avril. « Haftar rencontrera probablement Salamé, mais l’offensive saoudo-émiratie contre le Qatar, soutien de l’Ouest, a renforcé son camp, et il ne fera pas de concessions, même si la figure de Salamé est beaucoup plus importante que celle de Kobler », explique Mattia Toaldo, chercheur « Libye » au Conseil européen des relations internationales.
Spécialiste de la résolution des crises, Ghassan Salamé a l’expertise du professeur de relations internationales à Sciences-Po Paris, où il a enseigné de 1986 à 2005. À l’Élysée, le président, Emmanuel Macron, son conseiller diplomatique, Aurélien Lechevallier, son « Monsieur Afrique », Franck Paris, et sa conseillère Maghreb - Moyen-Orient, Ahlem Gharbi, tous passés par la rue Saint-Guillaume, ne manqueront sans doute pas de lui citer son cours obligatoire d’introduction aux relations internationales. Une accointance avec les responsables français qui pourrait se révéler opportune en Libye.
Nommé ministre de la Culture au Liban en 2000
Mais ce fils de villageois, né dans la montagne libanaise en 1951 d’un père instituteur l’hiver et cultivateur l’été, a aussi l’expérience de la scène internationale. Nommé ministre de la Culture au Liban en 2000, il rencontre le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui en fera son conseiller spécial en 2003. À peine en poste, l’attentat qui détruit le siège de l’ONU à Bagdad manque de le tuer. Sa fille, la journaliste Léa Salamé, appelle alors en Irak, paniquée. « Votre père soigne les blessés ! » lui répond-on.
Et quand il prend sa retraite, en 2015, après avoir créé l’École des affaires internationales de Sciences-Po, c’est pour s’envoler l’année suivante vers l’État de Rakhine, en Birmanie, pour y faire médiation dans le conflit qui fait rage entre bouddhistes et musulmans. « Il doit rendre ces prochaines semaines le rapport final de sa mission avant de gagner Tunis, d’où travaille l’équipe sur la Libye », rapporte un intime.
Homme de sciences et de terrain
Jusqu’à récemment, Salamé n’avait qu’une connaissance théorique de la Libye, mais, ces derniers mois, il a été chargé de modérer plusieurs rencontres discrètes entre acteurs des deux camps libyens à Genève, indique le proche.
Homme de sciences, de terrain, mais aussi docteur en littérature, il twittait le 12 juin qu’Ibn Khaldoun, le père nord-africain de la sociologie, était son « premier mentor, plus pertinent aujourd’hui que jamais ». Les clés du théoricien des solidarités et des mécanismes de domination entre tribus ne seront pas inutiles pour tenter de comprendre et rassembler les camps d’une Libye éclatée.
Jeune Afrique
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