Zéro. Aucun Français n’était engagé sur le marathon (42,195 km) dans les rues de Londres, dimanche, aux championnats du Monde d’athlétisme (4-13 août), épreuve remportée par le Kenyan Geoffrey Kipkorir Kirui (2 heures 08’ 27’’) et Rose Chelimo (2 heures 27’ 11’’) du Barhein. Un constat accablant pour l’Hexagone…

Seul un Bleu, Hassan Chahdi, chronométré en 2h10’20 au marathon de Paris le 9 avril dernier, avait décroché son ticket pour l’événement. Une sélection que l’athlète, triple champion de France de cross-country, a préféré décliner. Pour se concentrer sur son diplôme d’ergothérapeute, qu’il vient d’obtenir, ou encore sur son bébé de 3 mois. Mais surtout parce que, novice dans la discipline, il préfère laisser du temps au temps.

« Les Mondiaux étaient seulement trois mois après Paris, s’explique le coureur qui a suivi la course sur son écran, sans pincement au cœur, dit-il. C’était juste pour récupérer et repartir sur une autre préparation marathon. Je veux monter en puissance. Je n’ai participé qu’à deux marathons pour le moment, c’est plus prudent de ne pas trop courir pour la suite de ma carrière. J’envisage, par exemple, de revenir des prochains championnats d’Europe avec une médaille. J’axe désormais ma préparation sur cet objectif. »

Manque d’intérêt

Dominique Chauvelier est un ancien marathonien français dont le record personnel sur la distance est de 2 h 11’24’’ (Milan, 1989). Il a participé à cinq championnats du Monde, entre 1983 et 1997, sous la tunique tricolore. Pour lui, les Français sont frileux.

« Les Français ne sont pas des guerriers. Les gars, ils font le marathon de Paris et après ils doivent récupérer. Mais récupérer de quoi ? s’interroge-t-il, évoquant notamment le cas Chahdi. À un moment, à 28 ans, on y va ! Les vainqueurs du marathon, hier, ils ont gagné le marathon de Boston en avril dernier. À l’époque j’en faisais trois ou quatre par an. »

« Chadhi est très doué mais est-il passionné ? poursuit-il. Il aurait dû faire les championnats du Monde, où il aurait pu bien se classer, se faire remarquer et se faire connaître. » Un manque d’intérêt chez les Français ? « Je ne pense pas, rétorque Hassan. C’est juste que le marathon, dans les esprits, est consacré à la fin de carrière. On note une réticence à monter chez les jeunes. »

Minimas compliqués

Un qualifié, c’est peu. Des bons marathoniens français, il y en a pourtant. Benjamin Malaty, Yohan Durand, Timothée Baumier chez les hommes. C’est plus compliqué chez les femmes avec seulement Christelle Daunay. Pour beaucoup d’entre-eux, les minimas imposés par la Fédération Française d’Athlétisme (2 h 12 pour les hommes, 2 h 32 pour les femmes) sont quasi irréalisables. Ces derniers ont pourtant été revus à la baisse, dernièrement. Pour les Jeux Olympiques de Rio, il fallait compter 2 h 11 et 2 h 30.

Peut-être faudrait-il élargir à nouveau le champ des possibles pour attirer de nouveaux athlètes ? « Je resterais à 2 h 14 maximum,estime Dominique Chauvelier. À mon époque, on était à 2 h 11 – 2 h 12, pourquoi reculer ? »

Les minima sont jugés difficiles à atteindre par certains athlètes. (Photo : Sean Dempsey/EPA)

Jean-François Pontier, le manager de la discipline à la Fédération Française d’Athlétisme (FFA) ne veut pas entendre parler de minimas compliqués. « Parmi toutes les disciplines, les minimas sur marathon sont les plus faciles s’exclame-t-il. On ne peut pas dire qu’ils sont difficiles, ils sont accessibles. C’est tout simplement le niveau actuel français qui ne permet pas de rivaliser au niveau mondial. »

« Avec 2 h 13, détaille le professionnel, vous êtes au-delà de la 200e performance mondiale. Comment dire aux athlètes des autres disciplines qu’on ne prend pas un 40e mondial sur 400 m mais une personne classée à la 200e place sur marathon ? Il faut une certaine cohérence, même si bien sûr, nous prenons en compte certaines contraintes du marathon, comme le fait qu’on ne court pas un marathon tous les jours. »

L’excuse Kenyane

Il y a quelques années, la FFA avait mis en place un plan pour relancer le marathon. Force est de constater qu’il s’agit d’un fiasco. « C’est du pipeau, juge Chauvelier. Le casting n’était pas bon au départ, c’était voué à l’échec. » Jean-François Pontier reconnaît que la fédération a commis quelques erreurs. « Nous n’avons pas toujours fait les bons choix et avons dû arrêter faute d’argent. » Pas assez d’espoirs, selon Hassan Chahdi, « davantage d’athlètes déjà bons sur marathon. »

La discipline est dominée par les athlètes africains. (Photo : Matthew Childs/Reuters)

Difficile pour sortir des catégories jeunes, l’écrémage est considérable, plus encore de prendre le chemin du marathon, discipline strictement dominée par les nations africaines depuis plus de vingt ans. « Il est vrai que les Kenyans étouffent le marché, admet Dominique Chauvelier. Mais à chaque fois, on voit quand même des Européens devant. »

« Hier, un anglais a fait 4e. Un italien 6e. Avec des temps entre 2 h 10 et 2 h 12. Il y a toujours moyen pour un Français de se faire remarquer, surtout que ces courses sont médiatisées. Les Kenyans ne doivent pas être une excuse. » Une excuse ? « Je ne pense pas, considère Chahdi. On essaie malgré tout. On court par plaisir, ce sont les valeurs du dépassement de soi qui nous font avancer. »

Une question de statut

Mais la discipline est contraignante, traumatisante même. Comptez 150 à 200 km par semaine dans les jambes. « Peu d’athlètes sont prêts à avaler tous ces kilomètres, livrait Christelle Daunay, championne d’Europe du marathon (2014), il y a quelques mois dans nos colonnes. D’autant que les chances dans l’année sont rares. On se rate sur une course, on rate toute notre saison. »

Autant de kilomètres sans certitudes aucune. Alors beaucoup prennent d’autres chemins, celui du trail par exemple. « Nous ne pouvons pas tous nous permettre de nous entraîner tout en essayant de vivre. Il faut aussi manger, confie Hassan Chahdi. La majorité de nos revenus découlent des courses, gagnées en majorité par les Kenyans. Il faudrait un statut professionnel, mais les partenaires privés ne sont pas toujours faciles à attirer. »

Championne d’Europe, Christelle Daunay est l’un des seuls noms sur marathon français. (Photo : AFP)

Un statut pro ? Dominique Chauvelier n’est pas convaincu. « Stéphane Diagana a mentionné cette option, ce week-end à la télévision. Il y a 20 ou 30 ans, les Français couraient plus vite et avaient tous un boulot et une vie sociale normale, argumente-t-il.Moi j’étais employé de banque. Ce n’est pas parce qu’on a que ça à faire qu’on est plus fort. »

Que faire ?

Revaloriser le titre de champion de France « en offrant au lauréat la qualification d’office pour les prochains Mondiaux », propose l’ex-marathonien. Et davantage d’incitations financières. Avoir un groupe, aussi, qui se retrouve en stages et qui « dispose de partenaires spécialement dédiés à une équipe de France de marathon, comme le font les Italiens », ajoute-t-il. L’argent de la fédération est aujourd’hui réparti dans tous les services. « Pourquoi ça n’irait pas, tout ou partie, dans le marathon ? Il y a de l’argent, des partenaires privés. »

La jeunesse, c’est là où il faut tabler, et rapidement, envisage Jean-François Pontier, de la FFA : « Il y avait 5 espoirs hommes dans le top 10 du dernier championnat de France du 10 000 m. C’est sur ces athlètes-là que nous devont nous baser pour relancer le marathon. » La situation n’est pas nouvelle. La discipline, dans l’impasse, est sur le point de s’asphyxier. La France n’avait aucun marathonien aux JO de Rio l’an dernier. Quatre ans plus tôt, aux jeux de Londres, trois Bleus avaient pris le départ mais pas un n’avait franchi la ligne d’arrivée. Et si les JO 2024, à la maison, pouvait créer une dynamique ?