Kadija Bah à propos du 08 mars: « Il faut qu’on ait des femmes leaders à tous les niveaux pour impulser l’application des droits des femmes »


En ce 08 mars 2021, journée internationale des droits des femmes, Kadija Bah directrice des opérations et du développement des bluezones,  membre de plusieurs associations féminines, présidente d’une agence de promotion de la jeune femme, membre de la coalition des femmes de Guinée pour la Paix et également membre du réseau des femmes ministres et parlementaires a accordé une interview à un de nos Reporters. 

Elle a parlé entre autres de la journée internationale de la femme, de la place de la femme dans la société guinéenne, des multiples cas de viols dans le pays, des mariages précoces, de l’excision…

Nous vous proposons l’intégralité de cet entretien. Lisez!

L’humanité célèbre les avancées des droits des femmes le 08 mars prochain. Quels sont vos sentiments en tant que femme ?

Kadija Bah: Il y a peut-être des avancées, mais pas assez pour moi. Le 08 mars, c’est justement l’occasion de faire le bilan et se fixer des objectifs mesurables pour faire avancer les droits des femmes. Ce qui est juste déplorable par rapport à cette célébration, c’est du fait qu’on en a fait simplement une fête de manifestations de danse et autre. On oublie de parler du vrai sujet qui concerne les droits des femmes. 

Le thème retenu pour cette année, c’est « Leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la COVID-19 ». Qu’en pensez-vous ?

C’est important parce que la COVID-19 semble être un mal avec lequel on va vivre pendant un certain nombre de temps. Il faut donc en se projetant qu’on en tienne compte. Mais aussi, c’est quelque chose qui impacte beaucoup plus les femmes. On l’a remarqué pendant la dernière année et surtout quand on parle des pays où il y a le confinement, c’est beaucoup de femmes qui ont subi la COVID-19(économiquement, socialement, psychologiquement). J’ai souvent eu à partager avec des femmes qui expliquent que lorsque les enfants ne partaient pas à l’école, c’était difficile pour elles de suivre les cours des enfants et en même temps le foyer et le travail. C’est important qu’on se projette dans ça. Et le leadership féminin, il faut qu’on ait des femmes leaders à tous les niveaux pour justement impulser l’application des droits des femmes.

Quelle est selon vous, la place de la femme dans la société guinéenne aujourd’hui ?

Ça dépend de quelle vision on a. Quand on parle de la vision actuelle des femmes, je vois que beaucoup de jeunes femmes ont fait cette lecture et elles sont en train de se donner une place privilégiée. De reconnaître qu’elles ont un rôle à jouer dans le développement socioéconomique du pays, ne plus attendre qu’on aille leur proposer des actions, des activités dans ce sens-là. Mais, malheureusement, dans nos sociétés traditionnelles, on ne suit pas cet élan là. On a toujours une considération sous estimée de la femme qu’on réduit à son simple élément de femme de foyer, de ménage. Cela est dû à mon avis à une très mauvaise interprétation de nos textes religieux parce que la plupart se défendent d’appliquer la religion musulmane. Et ce qui n’est pas le cas parce que la réalité des textes donne plutôt une place primordiale à la femme dans la société. Et, si on parle aussi de notre histoire, la Guinée a toujours eu dans l’histoire lointaine, un rôle privilégié pour les femmes. Elles ont participé souvent au maintien de la paix dans la société, elles ont participé pour faire avancer le pays, elles ont souvent représenté la Guinée sur le plan international à des postes privilégiés. Donc, elles ont toujours eu une place importante dans la société guinéenne. 

En 2020, le gouvernement guinéen par la voix de Mariama Sylla ministre d’alors de l’action sociale, de la promotion féminine et de l’enfance avait fait savoir que tout avait été fait pour que les conditions de vie de la femme soient améliorées en Guinée. Un an après, quel constat faites-vous sur le terrain en tant que femme ?

C’est difficile quand on se fixe un objectif en disant qu’on veut améliorer les conditions de vie. Après, c’est difficile de juger parce que c’est très vaste. En général, un objectif, il faut qu’il soit chiffré. En ce moment on peut évaluer. Je ne peux pas vous dire, un an après qu’est-ce qui est fait et qu’est-ce qui n’est pas fait. Ce qui est apprécié, au niveau du gouvernement, on a créé un ministère des droits des femmes. Est-ce que c’est une volonté du gouvernement pour dire qu’il s’intéresse aux problèmes des femmes ? À mon avis, ce qui manque, c’est l’application des textes de loi parce qu’il y a eu beaucoup de textes à l’avantage des femmes qui sont proposés mais qui sont restés soit dans les tiroirs, soit ils sont votés et appliqués à moitié. Il faut un suivi. On parle du cas le plus flagrant, c’est au niveau de l’égalité dans les postes. Il y a eu un projet de loi qui a été voté mais qui n’a jamais été promulgué et pourtant ce qui est dit, à un certain niveau, il y a un temps de prescription au-delà duquel si une loi n’est pas promulguée, il doit être appliqué. Aujourd’hui, on devrait avoir un gouvernement paritaire, ce qui n’est pas le cas. À l’Assemblée nationale, la parité n’est pas le cas. Après, on a toujours le prétexte pour dire que les femmes ne sont pas prêtes et qu’elles n’ont pas les compétences. Moi, je dis non. Il faut leur donner la chance de faire des erreurs et de grandir en s’améliorant. Si on ne leur donne pas l’opportunité, elles vont être dans des postes de second rang parce que parler de parité dans un gouvernement, ce n’est pas seulement nommer des femmes à des postes de chef de cabinet ou secrétaire général. C’est en les mettant aussi dans des postes de ministre parce que c’est là où on décide du sort du pays.

Le 08 mars est une journée d’action, de sensibilisation et de mobilisation dédiée à la lutte pour les droits des femmes, l’égalité et la justice. Quelles sont les actions que comptent mener les différentes organisations dont vous êtes membre ?

À part mon poste à la bluezone, je suis membre de plusieurs associations féminines, j’ai une agence de promotion de la jeune femme et je fais partie de la coalition des femmes de Guinée pour la Paix, je suis également membre du réseau des femmes ministres et parlementaires. Donc, avec ces organisations, tous les jours on se bat pour la promotion de la femme et la défense des droits des femmes. Particulièrement, avec l’agence, on fait beaucoup de formations parce qu’on se dit que la solution c’est dans l’éducation. Il faut que les femmes connaissent leurs droits et devoirs pour pouvoir se défendre toutes seules et pour ne pas qu’on piétine leurs droits sans qu’elles ne s’en rendent compte. Tout ce qu’on fait, c’est de la formation et de l’information. Auprès des acteurs de la société civile, on fait de la sensibilisation pour que ces droits soient pris en compte. Cette année particulièrement, la chose qui me choque dont je veux faire la priorité dans le combat, c’est surtout le viol. On a vu beaucoup de cas de viol sur des femmes et surtout des enfants. C’est inadmissible parce que quand on dénonce un cas de viol, on ne voit jamais la suite pour dire que le coupable est en prison ou qu’il a été condamné. Ça s’arrête toujours au niveau de la victime avec tout ce qu’elle a subi. C’est vraiment dommage. Ce que je souhaite, c’est que dans les prochains jours on assiste à la condamnation de ces violeurs à la hauteur de leur forfaiture. Il y a peut-être parmi eux qui sont des malades mentaux qu’on doit prendre en charge, les soigner et les sortir de la société. C’est vraiment, un sujet qu’on doit prendre au sérieux. C’est inadmissible qu’on se livre à de tels actes surtout avec des bébés. 

L’autre problème, c’est quand des fois les familles étouffent les cas de viol pour les régler à l’amiable. Qu’en dites-vous ?

En fait, c’est par manque d’information que les familles agissent ainsi. Le viol c’est quelque chose de très difficile à partager. Il y a un complexe, une frustration, une blessure que les femmes préfèrent garder parce que c’est une blessure psychologique. Vous avez vu récemment avec le mouvement des femmes qui dénonce des viols qui ont eu lieu il y a 20 ans et certaines c’est à 30 ans. Elles ont grandi avec ce complexe. Elles n’ont jamais eu le courage d’en parler et maintenant que les langues se délient, elles ont le courage de le faire. Malheureusement, c’est parce qu’elles ne connaissent pas leurs droits et parce que la justice ne fait pas son rôle si non, en tant que parent, si tu es sûr que l’auteur va être jugé et condamné, tu auras le courage d’aller jusqu’au bout. Mais, si après, le coupable est même une menace pour la famille, c’est compliqué. On a vu un cas où un concessionnaire menaçait un locataire si jamais on dénonçait un cas de viol impliquant un de ses protégés. Les gens sont trop fatalistes aussi, tout ce qui leur arrive, ils se remettent à Dieu. C’est pourquoi, la justice doit à tout prix faire son travail.

Quel message avez-vous pour les autorités, les familles, les organisations de défense des droits des femmes en ce qui concerne ce sujet?

Aux parents, beaucoup de méfiance. Il ne faut avoir confiance en personne parce qu’on a vu que même des parents proches peuvent être des risques. Il faut donc protéger les enfants en les surveillant en leur disant de ne pas accepter que quelqu’un leur touche à un certain endroit. Et quand les parents réussissent à identifier un présumé coupable, d’aller jusqu’au bout de la procédure. Il ne faut pas avoir peur d’aller jusqu’à ce que justice leur soit rendue. Aux autorités, je leur dirai de vote une loi pour que les dossiers de viol soient prioritaires sur tout autre dossier en justice. Le temps que la blessure passe, les présumés coupables doivent être jugés et condamnés à la hauteur de leur forfaiture. De son côté, la société civile doit continuer à dénoncer, à éduquer, et à remonter les informations jusqu’à ce qu’il y ait une amélioration. 

Il y a des agents des forces de sécurité notamment des éléments de l’OPROGEM qui sont souvent cités dans l’étouffement de certains dossiers de viol. Qu’en dites-vous ?

Oui, ça, c’est à tous les niveaux. On voit souvent dans l’administration, des incompétences, des gens qui sont sous la corruption. C’est pourquoi le dossier judiciaire est compliqué, il y a beaucoup de choses qu’on ne maîtrise pas. Mais aussi il y a le manque de moyens de ces agents là qu’on entend souvent. Parce que pour pouvoir enquêter, arrêter les présumés coupables, les juger et condamner, il faut un certain nombre de moyens. On va rajouter à cela, le manque de personnel parce qu’aujourd’hui, si je ne me trompes, dans toute la Guinée, il n’y a qu’un ou deux médecins légistes capables d’examiner un cas de viol pour pouvoir le conduire en justice. Il y a une seule personne qui est psychologue qui peut prendre en charge les victimes et qui essaie de se battre pour former d’autres. Il faudrait renforcer ces équipes pour que dans toutes les régions, les communes, qu’il y ait des médecins dans tous les hôpitaux pour faciliter le transfert des dossiers de viol devant la justice.

Parlant de l’autonomisation des femmes, quel message avez-vous pour les filles et femmes qui attendent toujours qu’on leur tende la main?

Aujourd’hui, je pense qu’il y a très peu de femmes qui attendent qu’on leur tende la main. Le malheur des femmes, c’est parce qu’elles ne communiquent pas sur leurs actions. Beaucoup de femmes aujourd’hui prennent en charge leurs familles malgré tout, elles attendent d’être mariées parce que la société les voit autrement si elles ne sont pas mariées. Ce n’est pas pour qu’un homme les prenne en charge. Ce que je veux encourager , c’est l’éducation. Il faut que les parents acceptent de scolariser les jeunes filles et de leur permettre de poursuivre jusqu’aux études supérieures. La solution viendra par là. Quand elles sont bien formées et elles connaissent leurs droits et devoirs, il n’y aura plus de débats d’égalité entre hommes et femmes. Quand elles sont outillées, elles pourront se défendre.

Les mariages précoces et l’excision persistent en Guinée malgré les multiples sensibilisations ? Que pensez-vous de ces deux sujets ?

Je pense que tout ça est une question de pouvoir économique. Quand on est pauvre, on pense d’abord à se nourrir. Quand on cherche à vivre du jour au lendemain, on ne cherche pas à défendre ses droits. Mais quand on réussit à vaincre la pauvreté, on aura le temps de s’asseoir et de réfléchir pour pouvoir se projeter. Il y a beaucoup de problèmes qu’on pourra résoudre soi-même.  En ce qui concerne l’excision, il y a 20 ans, qu’on parle de ça, on fait des sensibilisations mais ça donne les mêmes résultats. Il faudrait qu’on se pose la question différemment aujourd’hui. Qu’on se demande pourquoi on pratique l’excision. Les personnes qui viennent communiquer vers les citoyens, il faut que ça soit aussi une communication sincère. Je vois beaucoup d’organisations qui se lancent dans cette lutte pour des intérêts personnels. Et quand tu vas vers quelqu’un en communiquant pour juste remplir un rapport d’activité le message ne passe pas parce que l’interlocuteur le ressent. La solution, pour moi, c’est de combattre la pauvreté. La vraie inégalité vient de cette pauvreté.

 Qu’est-ce que vous avez à ajouter pour clôturer notre entretien ?

Je vais revenir sur l’éducation. J’encourage les femmes à encourager la scolarisation de leurs enfants notamment les filles et surtout de les accompagner à toutes les étapes de la vie parce que malheureusement dans nos traditions, on ne transmet que le côté difficile de mère en fille. J’entends souvent des mères dire à leurs enfants que c’est normal pour une femme de souffrir parce qu’elle doit accoucher…On finit par grandir en se disant que c’est normal pour une femme de souffrir. Je pense qu’il faut changer de discours maintenant pour changer les mentalités afin que les femmes se disent qu’elles ont le droit au bonheur.

Propos recueillis par Mamadou Aliou Barry

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