Mme Diallo Hawa Sylla, Secrétaire Générale du Ministère en charge des Investissements et des Partenariats Publics Privés depuis février 2019 et qui a fait une carrière riche en Audit et commissariat aux comptes a accordé à notre rédaction une interview. Au cours de cet entretien, elle a parlé entre autres, de la journée internationale des droits des femmes célébrée le 08 mars dernier, de la place qu’occupe la femme dans la société guinéenne aujourd’hui, femme et COVID-19, des cas répétitifs de viol notamment sur les mineures en Guinée. Elle a également prodigué d’utiles et sages conseils aux filles et femmes de Guinée.
Nous vous proposons l’intégralité de cette interview. Lisez !
L’humanité a célébré la journée internationale des droits des femmes le 08 mars dernier. Quels sont vos sentiments en tant que femmes ?
Mes sentiments sont des sentiments de fierté et de devoir. Fierté d’être une épouse, une mère, une sœur, une amie, une professionnelle occupant de hautes fonctions et qui au quotidien contribue à améliorer le quotidien des guinéens à travers des politiques publiques favorisant la promotion des investissements.
Ce qu’il faut retenir, la journée du 8 mars est une journée qui symbolise la lutte pour les droits des femmes et pour la réduction des inégalités. Mais je suis de celles qui pensent que les 365 jours de l’année doivent être consacrés à la promotion de l’équité entre les genres et cette détermination doit être affichée tout au long de l’année. Pour ce faire, les femmes doivent occuper le terrain et être présentes autour des tables de négociation afin d’influencer les prises de décision les concernant. D’ailleurs, mon département est précurseur dans la promotion du genre car nous affichons un taux de féminisation de l’ordre de 40% de l’effectif.
Le thème retenu pour cette année, c’est « leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19. Qu’en pensez-vous ?
La vulnérabilité des femmes face au Covid-19 s’est accrue. Les femmes évoluent en majorité dans l’économie informelle et ont été lourdement affectées par la pandémie dues aux règles de confinement. Le ralentissement de l’activité économique a engendré la baisse de revenus, la perte de l’emploi et a plongé des familles entières dans la pauvreté. Mais les femmes n’ont pas pour autant baissé les bras. Le thème choisi à mon avis, est une marque de reconnaissance aux multiples efforts consentis par les femmes pour surmonter les effets de la crise. Sous un leadership éclairé, les femmes guinéennes à travers multiples associations se sont mobilisées pour la sensibilisation des populations, le déploiement des kits de lavage, la confection des masques de protection ou encore la distribution gratuite de repas aux malades du Covid-19, et de vivres aux familles démunies. Le plus remarquable, les femmes étaient et restent en première ligne dans le domaine sanitaire. Non seulement en termes de personnel médical mais également dans les instances de prise de décisions. Pour illustrer mes propos, c’est une femme qui est à la tête du Conseil Scientifique mis en place pour la gestion de la pandémie en Guinée. Cette tendance s’est confirmée sur le plan mondial, les nations dirigées par les femmes notamment l’Éthiopie, l’Allemagne, la Finlande et la Nouvelle Zélande se sont démarquées par leur gestion exemplaire de la pandémie.
Quelle est selon vous, la place de la femme dans la société guinéenne aujourd’hui ?
Une place incontournable. Au-delà du rôle classique d’épouse et de mère faisant d’elle le pilier de leurs familles, elles s’érigent dans le débat politique et économique de la Guinée. Sous l’impulsion du Président de la République, le Pr. Alpha Condé nous assistons depuis quelques années à une féminisation de l’Administration et ajouté à cela, la nouvelle constitution dont l’article 9 traite la question de la parité homme/femme comme un objectif politique et social. J’en suis d’ailleurs une preuve vivante. Les femmes occupent des postes de responsabilité, entreprennent beaucoup et sont de véritables leviers de développement. Dans les zones rurales, malgré des pratiques liées à une agriculture itinérante et traditionnelle, les femmes sont dans les champs de récoltes avec leurs dabas et houes pour nourrir leurs familles et pour assurer une activité commerciale. Mais il est important de souligner que la victoire est loin d’être acquise. Il y a toujours des faits de société qui affectent le genre, c’est le cas de la petite fille qui est soustraite du cursus scolaire ou qui n’est pas scolarisée en raison des mariages précoces, des travaux ménagers et champêtres. Elle se voit privée d’un droit universel qui est celui de l’accès à l’éducation. Ceci justifie le faible taux d’achèvement de l’éducation pour les filles qui est de 45,7% contre 62,7% pour les garçons (source Unicef 2018) avec des disparités beaucoup plus importantes dans les zones rurales qu’urbaines. J’en profite d’ailleurs pour saluer la décision interdisant le mariage des mineurs.
Étant l’espoir de la Guinée, Les femmes doivent affirmer leur personnalité et défier les stéréotypes les réduisant à certaines fonctions qui leurs sont traditionnellement réservées : techniciennes de surface, coiffeuse, ménages, secrétaires avec des niveaux de rémunération faible. Et, pour citer Michelle Obama, « il n’y a aucune limite à ce que nous pouvons accomplir en tant que femme ».
En 2020, le gouvernement guinéen par la voix de Mariama Sylla ministre d’alors de l’action sociale, de la promotion féminine et de l’enfance avait fait savoir que tout avait été fait pour que les conditions de vie de la femme soient améliorées en Guinée. Un an après, quels constats faites-vous sur le terrain en tant que femme ?
D’énormes avancées ont été enregistrées et plusieurs initiatives ont été entreprises, la création d’un département ministériel dédié uniquement aux femmes avec la dénomination du Ministère des droits et de l’autonomisation des femmes est un acquis considérable.
Dans le souci de toujours assurer l’autonomisation des femmes, un projet d’appui à l’entreprenariat féminin de l’ordre de 15 millions d’euros vient d’être conclu avec l’Agence Française de Développement (AFD) et l’Union Européenne (UE). Mon département, dans le cadre du programme Youth Connect for Women, à travers l’Agence de Promotion des Investissements Privés (APIP) a déjà financé 150 projets portés par de jeunes femmes entrepreneures de moins de 35 ans avec un appui financier de la Fédération de Russie. Le projet vise à accompagner 600 femmes entrepreneurs des quatre régions naturelles.
Le Ministre Gabriel Curtis est le Commissaire Général de la participation de la Guinée à la prochaine Exposition universelle qui aura lieu à Dubaï cette année. Le département œuvre afin qu’une place prépondérante soit réservée à la participation des femmes entrepreneurs leur permettant de commercialiser leurs produits à l’international, de trouver des nouveaux partenaires et surtout de gagner en visibilité à l’échelle internationale.
Le viol notamment sur les mineures est devenu récurrent en Guinée. Selon vous qu’est-ce qu’il faut pour mettre fin à ce phénomène ?
Les mots me manquent pour qualifier ce crime odieux qui doit être sévèrement sanctionné à la hauteur du préjudice causé. Je suis intransigeante là-dessus. Des voix s’élèvent certes à travers la société civile et les médias mais depuis un moment ce phénomène devient récurrent. Il faut tout simplement une application stricte et sans réserve de la loi (Code Pénal) relatif aux viols sur mineurs. Comme exemple on peut citer L’article 321-2 condamnant à la réclusion criminelle à perpétuité dans certaines circonstances.
Il faut qu’une stratégie de combats du viol envers les mineurs sous toutes ses formes soit élaborée devant inclure : une sensibilisation des familles qui ne devraient plus considérer le viol comme un sujet tabou, une aide aux enfants et aux adolescents pour gérer les risques à travers des cellules d’écoute et d’appui psychologique aux victimes de viol, la vulgarisation des lois et politiques condamnant le viol, la tenue à jour des statistiques, un système d’évaluation du dispositif…
Je tiens à féliciter le travail des services publics tels que l’Office de Protection du Genre, de l’Enfance et des Mœurs (OPROGEM). J’encourage vivement la population à avoir recours aux mécanismes existants pour ne pas laisser les auteurs de ces crimes odieux agir en toute impunité.
J’interpelle également les parents à une plus grande vigilance en leur demandant de veiller de très près sur les enfants afin de les protéger des prédateurs sexuels qui souvent sont des proches.
À l’occasion de cette journée internationale, quel message lancez-vous aux filles et femmes qui attendent toujours la main tendue de quelqu’un pour subvenir à leurs besoins ?
Je leur dirai tout simplement qu’elles ont tort et que d’office elles ont démissionné. Cette démission aura de lourdes conséquences sur elles et sur leurs progénitures. Alors il ne faut pas qu’elles se contentent de miettes qu’elles recevront mais plutôt qu’elles soient maîtresses de leur destin et cela commence bien évidemment par une forme d’indépendance financière. Il faut qu’elles soient audacieuses et qu’elles aient confiance en elles. Les femmes doivent oser et foncer, pour y arriver je leur recommande l’Executive Master (#MasterNoFear) qui est animé par une Guinéenne pour justement les accompagner à vaincre cette peur interne et à gagner de l’assurance. Les femmes n’évolueront et ne sortiront de la précarité que si elles arrivent à s’assumer financièrement. N’oublions pas que la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit et pas simplement dans le geste mais aussi dans la domination et la suprématie.
Je suis membre de GRIF-Guinée (Groupe de Réflexion et d’Influence) et de l’ONG CEFEGUI (Cercle Féminin de Guinée). Ces deux instances regroupent en leur sein des femmes venant de tous horizons professionnels et représentant un large éventail de secteurs d’activités. Nous nous démarquons au quotidien par notre dynamisme, notre autonomie, notre expertise, les succès stories et nous pensons que le combat pour l’autonomisation devrait être mené tous les jours. Alors à ces jeunes femmes qui pourront trouver en nous une source d’inspiration, nous nous ferons le plaisir de les conseiller et les accompagner.
Qu’est-ce que vous avez à ajouter pour clôturer notre entretien ?
Tout d’abord vous remercier de cette interview et vous exprimer ma disponibilité pour échanger autour de sujets relatifs au genre. Ensuite je dirai à mes filles, mes sœurs et mères d’occuper le terrain et de diversifier nos zones d’intervention dans tous les domaines : le sport, la culture, la politique, l’entreprenariat, l’ingénierie… Aujourd’hui il y a un changement de paradigme et nous constatons que la technologie offre beaucoup d’opportunité aux femmes qui pourraient occuper n’importe quel poste. Le boulevard est ouvert et l’avenir nous appartient, charge à nous de nous en approprier. Je mettrai la formation au cœur du dispositif, et l’expertise reste une bonne arme pour nous mettre en confiance et discuter d’égal à égal avec les hommes. Ne dit-on pas que le savoir est une source de pouvoir ? Alors détenons ce pouvoir. Souvent, on entend dire qu’il n’y a pas assez de femmes compétentes en Guinée ce que je prends comme une offense. Je demanderai tout simplement que la chance nous soit donnée de faire nos preuves et je vous garantis qu’au moment du bilan nous ferons la différence.
Propos recueillis par Mamadou Aliou Barry