Parmi les nombreuses tares que l’on attribue à la FrançAfrique, il y en a une qui revient plus souvent que les autres : son fonctionnement opaque qui frise la clandestinité, le rite occulte de la mafia. Et ce n’est pas un euphémisme : il n’échappe à personne que le peuple de France n’a aucun droit de regard sur la politique africaine de son gouvernement.
Celle-ci s’exerce hors de portée des élus, loin de la morale et de l’esprit de la Constitution. C’est un domaine réservé, une zone rouge où l’on se réunit en conclave, où tous les coups bas sont permis. Les journalistes n’en parlent que rarement, les députés, pour ainsi dire, jamais. Ces messieurs de la Françafrique font ce qu’ils veulent dans leur tour, ils n’ont aucun compte à rendre ni à la France ni à l’Afrique.
Ce bastion est peut-être en train de céder. Pour la première fois, le Palais Bourbon va peut-être, percer un trou pour jeter un œil sur ce qui se passe derrière ses murailles. Le député Aurélien Saintoul vient de pointer du doigt la face sombre des relations franco-guinéennes. Et pour cause, la Guinée, ce pays qui fut longtemps considéré comme le principal adversaire de la France dans la région, est en passe de devenir la plaque tournante de la Françafrique. Alors que le Mali, le Burkina Faso et le Niger se sont jetés dans les bras de Poutine, que le Togo, le Sénégal et le Tchad ne sont plus sûrs, c’est en Guinée que celle-ci vient de réorienter ses réseaux dont on connaît depuis Foccart, la redoutable efficacité en matière de coups tordus.
Pour compenser la défection des Goïta, Tiani et autres Ibrahima Traoré, c’est sur le Général Mamadi Doumbouya, l’homme fort de Conakry, que Macron a jeté son dévolu sans même prendre la peine de revêtir le masque habituel de la démocratie et des Droits de l’Homme. Après avoir un moment, boudé pour la forme le putschiste de Conakry, la France a très vite repris sa coopération, y compris, la coopération militaire. La junte guinéenne a pris cela comme la délivrance d’un blanc-seing pour ne pas dire, d’un permis de tuer.
La répression déjà sévère (dissolution du FNDC, plus de cinquante manifestants fauchés dans les rues, départ en exil des principales figures de l’opposition) a pris une tournure qui rappelle les heures sombres de Sékou Touré. Arrêté le 4 juin dernier et condamné à 5 ans de prison pour « désertion et détention illégale d’armes », le Général Sadiba Coulibaly, ancien chef d’Etat-major, et chargé d’Affaires à l’ambassade de Guinée à Cuba, a été déclaré mort quelques jours plus tard, suite à « un psycho-traumatisme important et un stress prolongé qui sont à l’origine d’une arythmie cardiaque majeure ayant entraîné une défibrillation et un arrêt cardiaque » (sic).
La veuve de ce brillant officier sorti d’une académie américaine, avait à peine fini d’enterrer son mari que Foniké Mengué et Billo Bah, deux figures de proue du combat démocratique, disparaissaient dans des conditions non encore élucidées à ce jour. On en est réduit à supputer sur leur sort au gré des rumeurs. Selon certains, ils seraient détenus au bagne de Fotoba dans l’île de Kassa où ils subiraient quotidiennement des tortures ; selon d’autres, ils seraient déjà morts.
Curieusement, la France, « la patrie des droits de l’Homme », est restée de marbre devant ces atrocités alors que l’ONU, les Etats-Unis, l’Allemagne, et la Grande-Bretagne les ont fermement condamnées. D’où la colère de notre député qui soupçonne un deal inavouable entre l’Elysée et le putschiste de Conakry et demande à la représentation nationale de créer « une commission d’enquête sur les relations actuelles entre la France et la Guinée ».
Sera-t-il entendu ? Les représentants du peuple de France se décideront-ils enfin à briser le tabou, à ouvrir à la démocratie les mornes alcôves de la Françafrique ? A nos yeux, rien n’est moins sûr, même si c’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Tierno Monénembo
Source : Le Point
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