Mamadou Baadiko BAH Président de l’Union des Forces Démocratiques (UFD) l’a dit dans une interview qu’il a accordée le 16 février 2018 à Aminata.com. Il a parlé entre autres des élections communales du 4 février 2018, les violences qui ont suivi ce scrutin, la grève des enseignants qui paralyse le système éducatif guinéen depuis le 12 février dernier, la récente sortie médiatique de Gassama Diaby ministre de la citoyenneté et de l’unité nationale et la démission de Jacob Zuma en Afrique du sud. Nous vous proposons l’intégralité de cet entretien.
Aminata.com: Quels enseignements tirez-vous des élections communales du 4 février 2018?
Mamadou Baadiko BAH: Je crois que la plus grande surprise a été que ces élections aient effectivement eu lieu le 04 février 2018 alors que beaucoup n’y croyaient pas ! De ce côté au moins, la CENI a tenu ses promesses. Dans l’ensemble, on n’a pas signalé de gros problèmes techniques. Mais hélas, les bonnes nouvelles s’arrêtent là. Il y a d’abord eu la grosse pagaille des dossiers d’investiture difficiles à constituer, malgré la rallonge de délai. A l’UFD par exemple, nous avons eu quatre listes non déposées pour cause de dossiers incomplets. Il y a eu ensuite les cafouillages au dépouillement des votes et la centralisation. Comment expliquer que des bureaux de vote qui n’ont pas plus de 300 inscrits, mettent parfois 24 heures avant de sortir le procès-verbal de dépouillement ? Comment expliquer qu’une sous-préfecture qui n’a pas plus de 12 bureaux de vote, soit incapable de centraliser les bureaux dans la nuit de l’élection ? Bien évidemment, il ne faut pas chercher la raison de ce retard seulement dans l’incompétence ou l’inexpérience des agents chargés de la centralisation, mais tout simplement c’est à cause des bagarres incessantes entre les uns et les autres pour tentatives de fraude ! Dans notre pays hélas, la fraude, le vol, les détournements sont un sport national qui n’est pas l’apanage des seuls fonctionnaires ! On accuse le pouvoir, la CENI, mais en réalité, nous sommes en face d’un phénomène de société ; un système communément admis et reposant sur la fraude depuis le retour à la démocratie en 1990. Tout le monde est prêt à recourir à la fraude pour s’imposer et on trouve que c’est normal, la fin justifiant les moyens ! Nous-mêmes avons bien failli en faire les frais, mais cette fois-ci, les adversaires qui avaient déjà tout planifié et tout calculé n’ont pas pu frauder contre nous. Nos candidats et notre jeune équipe de campagne se sont bien battus et il faut leur rendre hommage. A part tout cela, ces élections n’ont donné lieu à aucun débat sur la politique communale. En matière d’arguments, il y n’y a eu que les traditionnels achats de voix, les fraudes aux votes par procurations, les falsifications et substitutions de procès-verbaux, les calomnies ignobles, les promesses fallacieuses, les tentatives d’intimidations et les pressions de toutes sortes. Je reste convaincu qu’il ne peut rien sortir de sérieux d’un tel système et ce n’est pas notre magnifique Code Électoral qui y changera grand-chose. Chez nous, tous les textes restent sur le papier.
Votre parti a pris part à ce scrutin. Au bout du compte, comment s’en est-il sorti ?
Pour ces élections, nous n’avons pas voulu aller à l’aventure. Nous avons tenu à investir des listes avec des gens engagés, crédibles, fidèles aux idéaux de l’UFD : unité, transparence, progrès. Nous avions 6 listes dans les sous-préfectures de Poredaka (1 siège), Bodjè (1 siège), Kébali (2sièges), Mombeya(1siège), Sintali (pas d’élu) et Sagalé (3 sièges). Pour la suite, nous appliquerons scrupuleusement la discipline majoritaire.
Selon vous, qu’est-ce qui explique le fort taux d’abstention des populations ?
Tout le monde a remarqué le taux d’abstention record à ces élections qui auraient pourtant dû mobiliser les populations au plan local. Je crois qu’il est incontestable que cette attitude des populations traduit clairement leur rejet du système en place et des solutions alternatives qui leur sont proposées pour résoudre leurs problèmes quotidiens. Personne n’a cru que ces élections allaient permettre un changement véritable de la façon dont les affaires locales étaient gérées, quel que soit le candidat. Avez-vous remarqué par exemple que l’écrasante majorité des têtes de listes dans les préfectures et les sous-préfectures étaient de vénérables vieillards retraités? C’est ce rejet de l’establishment politique, (majorité et opposition) qui a permis la percée remarquable des candidatures indépendantes. En allant plus loin, on peut estimer que ces élections ont constitué un coup de semonce des populations contre la majorité à laquelle nous appartenons, ainsi que du système de condominium politico-ethnique qui règne sur le pays. Le message est sans ambigüité. Les gens ne peuvent plus se contenter éternellement de promesses quand leur vie quotidienne se dégrade de jour en jour : leurs enfants n’ont pas d’éducation de qualité, pas de travail ; il n’y a pas de routes, pas d’eau potable, pas de sécurité, etc.
Pouvait-on éviter les violences meurtrières qui ont suivi le scrutin?
Lorsqu’au lieu de travailler honnêtement et de vivre à la sueur de leur front, les gens cherchent plutôt à conquérir des positions politiques dans le pouvoir (élu ou administratif) et que pour cela ils doivent se livrer à toutes les pratiques illégales et même criminelles dénoncées plus haut, c’est tout à fait normal que cela nourrisse la haine et la violence. C’est le lieu d’attirer l’attention du peuple de Guinée sur les nouvelles menaces qui pèsent sur notre société, à cause de la faillite du système politico-ethnique. Depuis que notre pays est sorti de la Transition militaire en 2010 avec la victoire d’un clan politico-ethnique sur l’autre, le pays n’a pas pris le chemin de la concorde, de l’unité, pour se lancer à l’assaut de la reconstruction. C’est une réalité qui crève les yeux. Et aujourd’hui ce système a exacerbé les tensions communautaires. Mais ça va plus loin. La logique de la division ethnique n’ayant jamais de limites, avec ces élections locales, les divisions sont maintenant descendues au niveau des familles elles-mêmes, c’est-à-dire qu’on est tombé dans le phénomène clanique ! Nous assistons à la « somalisation » du pays. De la haine ethnique, on passe à la haine clanique, avec son cortège de violences et de déchirements. C’est horrible ! Pensez que les clans somaliens sont en guerre et se massacrent depuis plus de trente ans !
Quel appel avez-vous à lancer aux différents acteurs de ces élections locales et les populations ?
Mon seul appel va vers les populations et particulièrement la société civile qui doivent se mobiliser pour empêcher les nouveaux élus de se servir au lieu de servir l’intérêt général. Les populations doivent organiser une veille citoyenne pour s’opposer à l’incurie des collectivités locales décentralisées, aux détournements des recettes communales, à la corruption, à la destruction de l’environnement, à la protection des malfaiteurs, à la vente frauduleuse du domaine communal, etc.
Une grève générale et illimitée a été déclenchée par le syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée, paralysant le système éducatif guinéen depuis le lundi 12 février. Le gouvernement refuse de négocier directement avec Aboubacar Soumah, leader du mouvement. Vous qui avez une expérience en matière d’éducation, est-ce qu’il n’y a pas lieu de renvoyer dos à dos le gouvernement et le SLECG?
Les problèmes de fond qui ont fait exploser notre système éducatif sont bien connus de tous. Je voudrais à ce sujet vous rapporter une conversation que j’ai eue avec notre Maître, le Professeur Jibril Tamsir NIANE, grand révolutionnaire africain, héros de la lutte pour l’indépendance et de la lutte contre la dictature du Parti-Etat du PDG. Parlant de la faillite du système éducatif guinéen, il m’a dit ceci en septembre 2017 : « Je me demande comment allons-nous faire dans cinq ans dans l’Administration guinéenne, lorsque la majorité de ceux qui sont à peu près bien formés, connaissant leur travail, vont aller en retraite, pour laisser la place à des jeunes diplômés, à peine lettrés, incapables de rédiger un courrier ou de s’exprimer correctement en français, la langue de travail ? ».
A mon avis, « aux grands maux, les grands remèdes ». Pour sortir notre pays de cette crise multiforme et de cette décadence sans fin, il faut prendre le taureau par les cornes, dans tous les domaines (santé, agriculture, sécurité, administration, etc.), en commençant par le l’éducation, la pierre angulaire de tout édifice voué au progrès économique, social et culturel. Il faut qu’en Guinée, on cesse enfin de « caresser » les problèmes, plutôt que de s’y attaquer à fond. Pour moi, la solution-choc ; la solution révolutionnaire, devrait se résumer ainsi :
– Faire un test national rigoureux de tous les enseignants. Faire le tri entre ceux qui peuvent être maintenus à leur poste, ceux qui devraient recevoir une formation avant d’être réaffectés à des postes compatibles avec leur niveau et ceux qu’il faudrait redéployer ailleurs dans la fonction publique ou l’administration locale. D’autres peuvent être purement et simplement remerciés avec des indemnités consistantes.
– Dans le cadre d’un code général de la fonction publique, adopter un nouveau statut de la fonction enseignante en revalorisant substantiellement les salaires et en y introduisant un système incitatif basé sur l’assiduité, la conscience professionnelle, les résultats prouvés.
– Faire un test national de tous les élèves et étudiants afin de déterminer leur niveau réel. A la suite de ce test qui devra être d’une extrême rigueur, les enfants seraient répartis dans les classes correspondant à leur niveau réel pour un nouveau départ.
– Refaire tous les programmes scolaires et universitaires et adapter l’enseignement aux exigences de développement économique du pays.
– Allouer une quote-part importante du budget national à l’éducation.
Bien entendu, pour la réussite d’une telle réforme en profondeur, il faudra totalement sortir l’éducation du ghetto actuel de la politisation à outrance, qui fait que les nominations et même le choix des surveillants d’examens et les correcteurs d’épreuves sont basés prioritairement sur des critères de militantisme politique!
Nous devons bâtir un système éducatif progressiste, d’avant-garde, offrant d’égales chances de réussite à tous les enfants, de toutes conditions, à la ville comme à la campagne, pour l’honneur retrouvé de la noble profession enseignante.
Après la mort de deux jeunes élèves par balles dans la banlieue de Conakry au premier jour de cette grève, Kalifa Gassama Diaby ministre de la citoyenneté et de l’unité nationale a invité les forces de l’ordre d’arrêter de tuer les guinéens pendant le maintien d’ordre. Il annonce avoir pris un pool d’avocats pour accompagner les familles des victimes. Votre opinion sur ce sujet ?
Je trouve que c’est une très bonne initiative du ministre Gassama Diaby. C’est très courageux de sa part. Malheureusement, ce problème des tueries dans les rues et dans les centres de détention ne datent pas d’aujourd’hui. S’il veut être logique avec lui-même, il faudrait mettre sur le tapis tous les assassinats, les tortures, les emprisonnements arbitraires et en général les violations de droits humains depuis 1958. Là aussi, nous n’avons jamais eu d’initiative sérieuse pour mettre à jour la vérité et panser définitivement ces plaies toujours purulentes dans notre société poursuivie par son passé horrible.
Est-ce que vous avez une réaction sur la démission de Jacob Zuma?
Je vous mentirais si je vous cachais le fait que je me réjouis du limogeage de ce personnage et de l’humiliation que lui a fait subir le peuple sud-africain, en attendant qu’il réponde de ses forfaits devant la justice de son pays. C’est ce que je souhaite pour toute l’Afrique. Qu’aucun dirigeant, si prestigieux soit-t-il ne se croit intouchable et ne se croit tout permis. L’ANC qui était entrain de perdre complètement la confiance de son peuple a eu ainsi une réaction salutaire en se distançant de Jacob ZUMA. Ce héros de la lutte anti-apartheid, corrompu jusqu’à la moelle avait pourtant tout tenté pour se maintenir et échapper à la loi du peuple. Il avait patiemment manigancé la mise en orbite de son ex-épouse pour le remplacer. Mais ne nous y méprenons pas. Jacob ZUMA n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’ANC est remplie de dirigeants qui s’enrichissent par la corruption et les trafics d’influence, ce qui nourrit la misère et les graves inégalités sociales dans la communauté noire. Cyril RAMAPHOSA et ses amis pourront t- ils arrêter cette tendance et redresser leur parti historique? Wait and see…
Qu’est-ce que vous avez à ajouter pour clôturer notre entretien ?
Je souhaite à tout le peuple de Guinée et à tous les peuples d’Afrique, une bonne année 2018. Mes pensées vont également à vous, femmes et hommes des médias qui, au prix de sacrifices très lourds faites tant bien que mal votre métier. Sans cet engagement, la démocratie, c’est-à-dire l’avenir, serait condamné.
Mamadou Aliou Barry
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