Le président de l’Union des forces démocratiques (UFD), Mamadou Baadiko Bah a accordé une interview à des journalistes dont notre un de nos reporters. Il a parlé entre autres, de la crise à la Cour Constitutionnelle, du triste anniversaire du massacre du 28 septembre 2009, de l’an 60 de la Guinée. Nous vous proposons l’intégralité de cet entretien.
La crise qui sévit au sein de la Cour constitutionnelle vient de connaître un tournant avec l’élection d’un nouveau président, par les frondeurs, décidés coûte que coûte à tourner la page Kéléfa Sall. Quelle est votre lecture de ce psychodrame ?
Mamadou Baadiko BAH: Nous n’avons cessé dedénoncer le fait que notrepays fonctionne en margedes lois. Nous avonstoute une batteried’institutions de purefaçade, sans aucunpouvoir réel et assujettiesà un exécutif toutpuissant et omnipotent, exactement comme dans une véritable dictature.Ce qui arrive à la CourConstitutionnelle nedevrait étonner aucunobservateur tant soit peuaverti de la scènepolitique guinéenne : c’est« bouffe et tais toi » oualors tu seras démis. Surle plan du droit, nous assistons à un véritable coup d’Etat constitutionnel. Le président de ce corps est démis, en violation de toutes les lois régissant son organisme. Et pourquoi ? Bien que le principal intéressé ne l’ait pas encore dit, il paie certainement le prix de son refus de faciliter le tripatouillage de cette constitution pour faire sauter le verrou de la limite des deux mandats pour chaque président élu. Mais ne nous méprenons pas. Il n’y a pas que cette disposition qui dérange le pouvoir: l’article 36 sur la déclaration des biens,violé ouvertement en toute insolence par le pouvoir devrait lui aussi passer à la trappe. Les deux compères du co-dominium politico-ethnique qui règne sur le pays, le RPG et l’UFDG n’en veulent pas. C’est le lieu de dénoncer le fait que la fameuse Cour Constitutionnelle, depuis son installation en 2014, n’a jamais pris aucune action pour obliger le pouvoir à se soumettre à cette obligation, sous peine de destitution. Le pouvoir actuel est en position d’illégalité et d’illégitimité en violant un article clairement énoncé dans la constitution et qui ne souffre d’aucune ambigüité. Dans le même ordre d’idée, cette affaire devrait faire réfléchir nos juges, tous grades confondus. En acceptant de valider les élections truquées par le pouvoir, ils risquent un jour d’être emportés par les retournements de l’histoire.
Face au refus desfrondeurs de renoncer à leurs velléités, la sociétécivile et l’opposition, réunis dans un front commun, projettent demarcher pacifiquement dans la capitale et à l’intérieur du pays.Pensez-vous M. Bah que cela en vaut la peine ?
Notre parti, l’UFD avait participé avec d’autres au sit-in devant la Cour Constitutionnelle le 19 septembre 2018 pour protester contre cet acte illégal. Mais aujourd’hui le constat est clair : le pouvoir a réussi à corrompre et à vassaliser l’opposition et la plupart des organisations de la société civile, des syndicats, des religieux etc. Il n’a plus aucun contrepoids en face de lui. Il ne reculera doncdevant rien pour empêcher toute alternance démocratique. On ne peut pas à la fois être complice direct ou indirect du pouvoir, dépendre de ses prébendes, s’exposer à ses manœuvres et lutter efficacement contre lui,pour l’empêcher de violerla loi. Dans les conditions actuelles donc, je ne crois pas que ces manifestations donneront le résultat escompté par les populations.
Le gouvernement a d’ailleurs réitéré l’interdiction desmanifestations, unemesure visant sansdoute à dissuader lesorganisateurs de lamarche du lundi. Partagez-vous cette injonction du ministèrede l’Administration duterritoire ?
Vous connaissez comme moi la force manœuvrière du pouvoir. En 2009, ce sont les mêmes argutiesque le CNDD avait avancé pour interdire la grande manifestation du 28 septembre au Stade du même nom. Tous les moyens seront bons pour empêcher le peuple d’exprimer son ras le bol face et sa colère à un pouvoir qui ne lui a apporté que la misère, la faim et le désespoir. Le ridicule ne tue pas. N’oubliez pas : « le Chinois est mort », « les pèlerins ne sont pas rentrés de la Mecque », etc., etc.
Il faut rappeler aussi que le sit-in desforces vives devant à la Cour constitutionnelle aété violemment répriméjeudi. Peut-on parleraujourd’hui d’unevolonté de restreindre des libertés de la part del’exécutif?
Il est tout à fait clair qu’un pouvoir comme celui-ci qui viole sa propre légalité à la face du monde ne reculera devant aucune extrémité pour se maintenir
Pour terminer avec cechapitre de la Cour,avez-vous un messageparticulier à lancer auprésident Alpha Condé, qui devra en dernierressort, valider ou nonl’élection du nouveauprésident de la Cour?
Je suis désolé mais je ne crois pas que le Président puisse écouter ce conseil. Avec ses amis, ils sontmurés dans une logique implacable de confiscation du pouvoir et ce n’est que l’Histoire qui lui montrera qu’il a eu tort d’agir ainsi et ce sera trop tard.
Neuf ans après lemassacre du 28septembre 2009perpétré au grand stadede Conakry, victimes etparents attendenttoujours que justice soitrendue, mais en vain.Cela doit vous interpellerforcément, d’autant quevous étiez des forcesvives au moment desfaits?
Vous devez comprendre que l’affaire des crimes du 28 septembre 2009 (qui va jusqu’à la tentative d’assassinat le 3 décembre 2009 du Capitaine Moussa Dadis CAMARA) n’est pas différente de celle des crimes du régime sanguinaire de Sékou Touré. Beaucoup de gens bien placés aujourd’hui y sont impliqués et n’ont aucune envie que la vérité éclate au grand jour. Le mieux est que la justice internationale se saisisse de l’affaire, sinon, nous assisterons aux mascarades judicaires habituelles. La justice guinéenne a encore un long chemin à faire pour prouver sa crédibilité faite d’indépendance, de compétence et d’équité.
Est-ce que vous pensezque ce procès aura lieusous l’ère Alpha Condé ?
Je doute fort qu’unprocès juste équitable,qui révèle toute la véritéet désigne tous lescoupables et complicespuisse se tenir dans lecontexte actuel.
Dadis et SékoubaKonaté, qui étaient lesprincipaux chefs de lajunte sont confinés àl’extérieur, ce qui enrajoute au pessimismedes victimes quant à lavolonté du pouvoir defaire la lumière sur cemassacre. Ont-ils tort des’inquiéter, à votre avis ?
Vous avez raison de dire que ces deux éminents acteurs de cette époque sont maintenus en exil, loin de leur pays. Or ils détiennent une portion de la vérité que tout le peuple de Guinée a besoin de savoir. Tout ceci montre que dans le contexte actuel la vérité ne sera pas enfindévoilée.
La Guinée indépendanteaura 60 ans ce mardi 02octobre 2018. LesGuinéens peuvent-ilsêtre fiers du cheminparcouru depuis 1958par leur pays ?
Nous sommes fiers d’avoir choisi l’indépendance le 28 septembre 1958. Mais sommes-nous fiers de ce que l’élite dirigeante a fait de ce pays en 60 ans de règne ? Certainement non ! Le bilan est honteux, lorsqu’on compare à d’autres pays. Nous sommes installés dans un système ethniciste, prédateur, liberticide, incapable de travailler dans le cadre d’un Etat de droit permettant de bâtir une nation engagée sur le chemin du progrès, pour le bien-être de ses habitants. Pour nous, la population devrait rester chez elle et méditer sur les raisons de la catastrophe que nous vivons et accepter de sortir de ce système destructeur pour le pays et ses enfants. Un citoyen conscient ne peut pas se réjouir de l’échec lamentable dont il est le premier à payer les conséquences. Que ceux qui ont ruiné le pays ou ont profité des pillages, jubilent et fassent la fête. Le peuple de Guinée quant à lui n’a que ses yeux pour pleurer.
Votre parti l’UFD est-iltoujours membre de lamajorité présidentielle ?
Mais je crois que la question ne se pose même pas. Nous avons signé une alliance avec le RPG en 2015. Mais notre allié nous a – t-il jamais considéré comme un allié ? A-t-il jamais respecté une seule virgule de cet accord ? Bien sûr que non ! Nous ne pouvons pas être liés par un accord qui n’engage que nous. Les prochaines instances de l’UFD auront à se prononcerofficiellement là-dessus.Nous gardons notre entière liberté d’action.
Quel est le message quevous avez à lancer à vosmilitants etsympathisants ?
Nous demandons à nos militantes, militants et sympathisants de redoubler d’efforts pour éveiller la conscience de larges couches du peuple de Guinée afin qu’elles rejettent la division ethnique et la prédation du bien public et qu’elles soutiennent la lutte de l’UFD pour une Guinée démocratique, unie et progressiste.
Aminata.com
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