Docteur Alpha Abdoulaye Diallo vice-président du conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG) chargé des questions économiques et président de la coalition Publiez Ce que Vous Payez Guinée a accordé une interview à notre rédaction. Il a parlé entre autres du report de l’installation des exécutifs communaux, de la grève du SLECG, de la Cour Constitutionnelle, du retard du procès du massacre du 28 septembre 2009, du bail du port autonome de Conakry.
Nous vous proposons l’intégralité de cet entretien
Neuf mois après les élections communales, l’État avait commencé d’installer les élus le week-end dernier. Malheureusement, cette opération vient d’être interrompue par le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation. Quelle est votre réaction ?
Dr Alpha Abdoulaye Diallo: c’est une situation unique. Ce n’est qu’en Guinée qu’on peut voir des situations comme ça. Depuis les élections communales, cela fait un mois et quelques jours. Jusqu’à présent, les exécutifs communaux ne sont pas installés. Je pense que c’est une situation exceptionnelle qu’on ne voit qu’en Guinée. Mieux vaut tard que jamais puisque le processus a été enclenché mais à notre grande surprise, nous avons appris que le processus a été arrêté jusqu’à nouvel ordre. J’estime que c’est une fuite en avant puisque depuis neuf mois, les citoyens sont impatients de voir leurs élus qui doivent porter le développement à la base. Ils sont impatients de voir installer leurs conseillers mais si le processus est retardé, arrêté, c’est une déception. Nous estimons qu’on ne va pas continuer à faire la fuite en avant. S’il y a une localité où il y a des difficultés, il faut laisser les autres continuer leur installation. Il ne faut pas frapper toutes les collectivités avec un fouet qui ne les concerne pas. À mon avis, c’est une situation très déplorable. Nous invitons le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation de débloquer cette situation très rapidement parce que c’est toute la Guinée qui est impatiente de voir ses élus locaux.
Dans certaines localités, il y a eu des problèmes dans l’application de l’accord politique du 8 août dernier. C’est le cas de Kindia, Guiassou dans la préfecture de Lola où des militants et responsables du Bloc Libéral ont été blessés et leurs maisons incendiées. Votre opinion sur ce sujet ?
Là aussi, il y a eu le contentieux électoral, il y a eu la violation du code électoral. Puisqu’il y avait un vide juridique, les partis politiques sont arrivés à un arrangement qu’on appelle accord politique. La seule voie de sortie est de respecter cet accord. Il faudrait que les uns et les autres puissent sensibiliser leurs militants pour revenir à la raison. Ce n’est pas la fin du monde. Je pense que si on a signé des accords, le minimum c’est de respecter les engagements qu’on a pris pour dépasser cette étape. Je dirai à la population de Lola de revenir à la raison parce qu’il ne faut pas que pour des raisons politiques, qu’ils essayent de déstabiliser la cohésion sociale, le vivre ensemble. Les policiens passent et nous voyons à quelle vitesse les discours des hommes politiques changent. Il ne faut qu’ils brûlent tout à cause de postes ou d’intérêt politique. Ils vont cohabiter encore plus longtemps.
Le syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG) à déclenché une grève générale et illimitée. Au lieu satisfaire les revendications des enseignants, le gouvernement privilégie le bras de fer avec les grévistes. Qu’en pensez-vous ?
Là également, il faut appeler à la responsabilité du gouvernement qui a signé librement un accord avec ce syndicat. Je pense que le premier ministre et son gouvernement doivent prendre cette question à bras le corps. Ils doivent aller négocier avec les grévistes puisqu’il s’agit d’un seul point qui est la condition salariale des enseignants. Nous connaissons aujourd’hui dans quelle précarité végètent les enseignants. Il est important que ça ne soit pas un dialogue de sourd. Les gouvernements doivent revenir à la table de négociation pour trouver un terrain d’entente. Aujourd’hui, paralyser l’éducation en Guinée, c’est paralyser tout le pays. Celui qui baffoue l’éducation d’un pays, participe à la destruction de ce pays à long terme. Le développement de notre pays est déterminé par la qualité de l’enseignement qu’on donne à nos enfants pour qu’ils puissent être au rendez-vous de la compétition mondiale. Mais si le gouvernement et le syndicat font la sourde oreille, il ne faut pas penser que c’est aux enfants qu’on fait du tort mais c’est à toute la Guinée. On peut bafoué la formation des jeunes mais c’est le pays qui va prendre un coup dans l’avenir. Il faut de façon urgente que le gouvernement vient à la table de négociation, discuter avec les grévistes et trouver un terrain d’entente. Trop c’est trop, il ne faut pas faire la fuite en avant. C’est eux qui ont signé cet accord là. Je pense que c’est de leur responsabilité de venir discuter avec les enseignants.
Le gouvernement opte pour le recrutement d’autres enseignants contractuels pour remplacer les grévistes et le blocage du salaire de ces derniers. Quel est votre point de vue ?
C’est résoudre un problème par un autre problème. Quelle expérience ont ces nouveaux enseignants ? Combien de temps, ils vont faire pour se familiariser avec le système ? Au lieu de procéder à cela, il faut résoudre le problème par une solution durable. Je ne suis pas contre le recrutement des enseignants parce qu’il faut étouffer ce corps. Il ne faut pas recruter parce que des enseignants vont aller en grève mais il faut consolider l’acquis tout en améliorant les conditions de vie et de travail des enseignants. Je pense que, vouloir casser l’élan de cette grève légitime, est une façon de bafouer les libertés individuelles et collectives. Ils sont dans leur plein droit de revendiquer. Mais, vouloir les remplacer par des contractuels, c’est faire du tort non seulement aux enseignants mais aussi à tout le peuple de Guinée.
À la Cour Constitutionnelle, malgré les contestations, le nouveau président a été installé ? Qu’en dites-vous?
À notre grande surprise, la cacophonie à la Cour Constitutionnelle s’est soldée par cette installation. Cette Cour est l’institution la plus importante parce que c’est elle qui régule l’organisation des élections en Guinée. Et Dieu seul sait, nous avons des élections législatives en 2019 et la présidentielle en 2020. Et si au sein de cette institution chargée de réguler les élections et la conformité des lois avec notre constitution, il y a la cacophonie, le bicephalisme, est-ce que cela ne va pas impacter sur les résultats. Donc, c’est la démocratie qui va prendre un coup. Nous constatons aujourd’hui un recul. Si on ne prend pas garde, ce n’est pas bon puisque la majeure partie des acteurs politiques ne porte plus confiance à cette Cour. Et l’ensemble des acteurs sociaux crient au scandale. Nous n’avons pas confiance à cette institution. Il faut nécessairement qu’on revienne à des fondamentaux, qu’on renvoie tous ces conseillers et qu’on dote la Guinée d’une institution forte et crédible parce que ce n’est pas de magistrats qui manquent dans le pays. Donc, on peut puiser dans ce vivier là afin de remplacer les responsables de cette cacophonie.
En tant que responsable de Publiez Ce que Vous Payez Guinée, quelle lecture faites-vous de la crise qui a suivi le bail du Port autonome de Conakry à la société Turque Albayrak ; mais aussi l’affaire des 20 millions d’euros à la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG)?
Ce qui s’est passé au port autonome de Conakry est un déni de souveraineté. Le port est une frontière maritime. C’est une parcelle de la souveraineté guinéenne. On ne peut céder une partie de cette souveraineté sans un débat profond avec des conséquences bien évaluées. Normalement, ce contrat qui a donné notre port à Albayrak devait faire l’objet d’une libre concurrence. Ces genres de concession doivent passer à l’Assemblée nationale. Il doit y avoir un débat autour de ça. Il n’est pas interdit de faire de partenariat public-privé mais il faut que ces partenariats obéissent à nos lois, aux règles et à la bonne pratique. Mais, en catimini, on cède, une partie de la souveraineté. Combien de personnes travaillent dans ce port? Si on renvoie nos pauvres mamans dans la rue, c’est la Guinée qui prend un coup. Les entreprises, c’est leurs intérêts qui comptent. Ils ne sont pas là parce que les guinéens sont beaux où accueillant mais pour chercher des profits. Nos souffrances, nos conditions internes nous regardent. Je pense que ce dossier a été traité à la va-vite. J’avoue que c’est très inquiétant. Le port ne doit pas être cédé avec une telle facilité. Maintenant, c’est à l’Assemblée d’ouvrir une enquête parlementaire. Pour ce qui est de la BCRG, je pense que ce n’est pas la première fois que nous entendons des scandales qui tournent autour de cette institution. Il faut que l’Assemblée nationale s’en saisisse. En dehors de l’Assemblée, il y a le ministère de la justice qui doit ouvrir une information judiciaire. L’assemblée aussi doit ouvrir une enquête parlementaire sur cette question parce que la BCRG est la mère de toutes nos institutions financières. S’il y a des souspissions autour de cette institution, on doit aller au fond dans les enquêtes.
Neuf ans après le massacre du 28 septembre 2009, les victimes attendent toujours justice. Votre avis sur ce sujet ?
Il y a eu beaucoup de victimes en Guinée, il faut qu’on soit courageux de regarder notre histoire en face et l’assumer. Sur sa page sombre et sa page claire. Il faut qu’on assume notre histoire. Il faut essuyer les larmes des victimes, les rétablir dans leurs droits et il faut une garantie de non répétition. Il faut qu’il y ait justice et réparation pour les victimes depuis l’indépendance. Tant que nous n’allons pas regarder cela en face et rétablir les victimes dans leurs droits, nous allons continuer à tourner à rond et les victimes vont continuer de nous hanter. La justice est la solution à l’impunité.
Qu’est ce que vous avez à ajouter pour clôturer cet entretien ?
Il faut que nos dirigeants cessent de gouverner par la violence. On peut résoudre autour de la table. On ne peut pas continuer de faire de victimes de régime en régime sans la justice. L’impunité engendre toujours d’autres crimes. Je demande à nos dirigeants de gouverner avec exemplarité. Ils doivent être les premiers à respecter la loi mais s’ils sont les premiers à le faire, tout le monde va se mirer à cela et ça sera la pagaille dans le pays. Le respect des lois par nos dirigeants est gage de sérénité dans le pays.
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